Tome 5 : ANAD ECMO et Le Parfum des Sévices  - JC DELMEULE
ANAD ECMO et Le Parfum des Sévices
JC DELMEULE - Tome 5
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I

L’hypothèse d’un meurtre est déjà la réalisation d’un acte. Et le souffle mutin qui court sur la fragilité des nuques est aussi le tracé subtil d’une précision. Celle qui fait de ce dos et de ces épaules enchâssées de sucre l’espace des jeux quand ils peuvent devenir fatals ou létaux. Car en ce dernier mot s’imposent le X et la croix des secrets. Étirements ébahis ou alanguis, petites déchirures de l’être, quand il s’adonne à des plaisirs inattendus, ou peut-être, néanmoins, programmés. Ce n’est pas du gâteau, susurre le commissaire, et d’ajouter on voudrait nous rouler dans la farine qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
La femme est grande, très grande, envisageons deux mètres. Mais ses pieds sont menus. Et son corps est recouvert de caramel, doré, suave, ciselé. Elle n’a pas
été brûlée car le dessin dentelé n’a été déposé sur sa peau qu’après sa mort. Ses fesses sont myriades de trémolos quand la voix ne sait plus décrire la beauté des artifices et qu’elle reste avide de vérité et profondément déçue de ne pas avoir chanté les louanges d’une sylphide aussi charismatique.
Que peut bien représenter cette forme morcelée et coupante ? Le rasoir des songes ou le fil à mesurer l’infini ?
Ses cheveux sont blonds mais le fin duvet de son sexe est roux. Allez savoir.
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Bon, notons que notre inconnue ne me l’était pas. Je l’avais rencontrée lors d’un colloque sur les écritures religieuses et je savais qu’elle était une spécialiste des cultures juives. Une grande spécialiste, sourit le policier. Et nous avions retrouvé chez elle une collection de disques baroques, dont le fameux Nisi Dominus qui diffusait son rythme dès que l’on refermait la porte de l’appartement. Joli au demeurant.


III

L’ombre d’un jardin n’est pas le jardin d’une ombre.
Le néon rouge fléchit ses reflets sur le pavé. Il pleut. D’une morne bruine désarmée qui tache l’espoir. Alors il faut boire. Ou pas.  

Car son élégance est attirante et le petit homme un peu éméché, mais foncièrement séduit souhaiterait appauvrir ses élans pour mieux enrichir ses étreintes. Elle alanguit ses tourments.
Haute, très haute. Sur un tabouret qui n’a dû être construit que pour elle. Sa robe est cristalline. Ses bas piquetés de fragrances. Je hume. De ses cheveux étirés de traîne en princesse des festivités, de ses cils lumineux sur fond de lames, de ses lèvres entrouvertes sur l’espace des attentes. Elle me dévisage, me pavoise, me distille délicatement comme on torture un animal que l’on respecte peu ou pas du tout. Vous savez crier ? Je peux me faire entendre des abîmes si mon cri est un hommage à vos attributs. Vous savez pleurer ? Mes larmes feraient fleurir le sahel. Vous savez donner ? Il faudrait que je puisse. Un mesquin ! Un pauvre ! Un détective ! Je suis découvert.  
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Enfin si peu. Moins que sa chair et ses escarpinades. Elle hanche sur le parquet des intentions sinueuses. Mais me dissèque, me dessèche, me désamorce. Je ne suis plus que le souvenir d’une vague suggestion. Elle me tend l’addition. Faut payer ! J’aurais aimé qu’elle y mette les formes. Enfin pour ce qui est des siennes je ne suis pas volé. Je la suis. Je la parfume de mes aspirations. Je la frôle mais pour tomber sur un os. Pas le sien. Celui de la ruine qui s’abat sur mon crâne. Mais c’est une reine après tout.
Alors Basta !
Et sombrer dans la nuit.


IV

La langue est bien cet organe qui appréhende le monde pour en saisir le fumet. La mienne traîne sur le sol et se bat dans une flaque nauséabonde
où survolent des criquets multicolores. Des réminiscences écossaises ou de dangereux retours burroughsiens. Je ne sais pas comment cela se dit mais dans mon état mieux vaut une erreur qu’un refus. Ce qui m’étonne ce sont les chaussettes de montagne dont je suis affublé et surtout de constater que je ne porte rien d’autre. Ce qui, en certains lieux, ne poserait pas de problème, mais qui, ici, le long du canal qui rectiligne mes maux de tête, semble déplacé. D’autant plus qu’un groupe d’écolières blondes a arrêté sa marche afin de dérober de mon anatomie ce qui devrait leur être caché. Je leur explique que l’heure n’est pas au voyeurisme mais elles me sourient gentiment et l’une d’entre elles, la plus belle, rassure ma pudeur d’un geste digne d’un Saint Martin. Elle déchire son manteau et me tend la moitié destinée aux boutonnières.  
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Pourquoi fais-tu cela ? Pour attendre la fusion entre le bouton et son chemin. Quel âge as-tu ? Celui qui sent qu’une rose ne dure pas bien longtemps. Après tout, ils n’ont qu’à pas leur apprendre des obscénités à l’école.


V
Je constate que vous avez fait la connaissance de Dolorès. Celle qui parle est Masaï. Elle doit mesurer deux mètres vingt. Où va-t-on s’arrêter ? Elle hoche la tête et sourit. Me montre un cadre où l’on voit sur une photo Dolorès ; Arusha, puisqu’elle se prénomme ainsi ; et son mari Jean-Baptiste. Nous l’avons adoptée. Jean-Baptiste est Peul et nous nous sommes rencontrés à Gourou où nous étions ingénieurs pour la fusée Ariane. Dolorès est la fille de nos amis français qui sont morts à Amiens dans un accident de scooter.
Je suis un peu plus présentable, sauf que les vêtements de Jean-Baptiste m’iraient comme un gant si j’étais un doigt. Mais comme le dit le proverbe africain, je ne suis qu’un ongle. Je marche avec peine, perdu dans cette immensité de tissu et de soie. Et c’est Dolorès qui me sauve une fois de plus en suggérant de me conduire chez un certain Bertrand dont le père Arthur tient la meilleure table de la ville.
Chez Arthur tout est rouge. Les lampes, les chaises, les bijoux des serveuses, les couverts, les plats et surtout le pantalon et le pull qu’il m’a offerts.
Un visage que je reconnais m’observe comme un poisson-chat l’hameçon des nuitées. Et sous lui je discerne le galbe des jambes et l’évocation radieuse de perspectives qui m’ont été enlevées brutalement. Je ne savais pas que vous étiez en lien avec Dolorès. Vous la verriez le matin quand elle se hisse sur la pointe des pieds. Quelle danseuse !
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VI

Pourtant conquise la conque ne cesse de coquiner avec la coque du cousin quand le cocu du creux est aussi le copain des catins. Et quand il pleut, mieux vaut se mettre à l’abri. Longtemps que nous n’avions pas pu profiter des inventions langagières du commissaire. Longtemps aussi, qu’il ne m’avait pas surpris, quoique déjà nu, dans un lit qui n’était pas le mien, mais qui aurait pu être celui d’une autre. Et pourtant j’y trônais seul, entouré d’une escouade de policiers armés jusques aux dents. Et peut-être même jusqu’à la cime des cheveux. Mais je n’en saurai rien puisqu’ils portent une cagoule. C’est visiblement un clan. Y a-t-il des femmes dans les brigades d’intervention ? Je scrute les formes oblongues de leurs silhouettes.
Votre grand écart est moins brillant. Le bloody Mary est excellent, les piments javanais sucrés et le lit de groseilles savamment orchestré. Son décolleté s’ouvre sur un collier scintillant, carmin et rubis. Une liesse. Vous êtes trop prompt à suivre les indices les plus évidents. C’est qu’ils sont exposés à mon œil et qu’ils font naître bien des désirs de découverte. Un simple geste, un mouvement à peine perceptible et c’est une cascade d’éclairs qui accompagnent le lent déplacement de ses seins. Vous voyez, vous êtes déjà hypnotisé et vous avez oublié vos déboires. J’y retournerais volontiers, quitte à prendre langue dans les sillons de l’ignominie. Prétentieux. Non, fasciné. Je dois partir. Je vous suivrai. La dernière tentative n’a pas été couronnée de succès. Justement je n’ai rien à perdre, sinon votre beauté. Flatteur. Sincère. Tant pis pour vous.   
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Le commissaire hausse les épaules. Il sait qu’au lieu de m’inquiéter pour mon avenir je cherche à détecter sous la carapace la tendresse des palpitations et des palpations. Mais il faut attendre. C’est quoi, carnaval ? Je reçois une secousse électrique. Ils ne plaisantent pas. Ou les catéchumènes ? Deuxième décharge. Et l’on dira que la police manque de moyens. La troisième est douloureuse. Par addition. En tout cas elle n’est pas privée d’extrêmes. On m’extrait de mes draps, me projette sur le tapis dont je remarque enfin la finesse du tissage, m’écrase le visage sous un talon digne d’un Robocop. Et je me mets à rire, doucement, mais sûrement. Car je suis à même le sol et je murmure que je vais porter plinthe. Ce craquement qui traverse mon dos n’est pas de bon augure, mais il me rappelle que j’ai une colonne vertébrale dont je ne m’occupe pas assez.
Pourtant la cosse ne cesse d’acoquiner le cuistre en cuissardes quand la cascade crisse pour mieux se ciseler. Il a bu ? Je ne reconnais pas ses jeux de mots. Ou bien ce n’est pas lui. Car sous son masque, j’ai du mal à l’identifier. Un usurpateur ?


VII

Jeté dans une fourgonnette je me dis que les véhicules français ont des progrès à faire pour être crédibles. Crissements de pneus, démarrage en trombe, dérapages contrôlés. C’est une cascade ou un enlèvement, une arrestation ou une disparition ? L’automobile freine brutalement. On m’extirpe, on me propulse, on m’invective. C’est un palais ! C’est du marbre ! Un escalier vertigineux comme la déesse qui se tient sur les hauteurs.
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Se rend-elle compte que je peux voir ces lieux réputés intimes et que j‘apprécie les dentelles qui les investissent ? Elle frôle le vide et moi l’extase. Elle déplace sensiblement son pied gauche et j’entame en mon for intérieur un cantique slave digne du plus beau grégorien. Magnifique. Sa robe, ses talons, son ondulation féroce. Ses dents sont peut-être un peu trop pointues, mais à ce niveau-là on ne tergiverse plus, on admire.
Les hommes cagoulés disparaissent. Remplacés par des lévriers grecs. Affamés. Ils bavent. Je les comprends. Mais pas pour les mêmes raisons que moi. Elle descend peu à peu les marches. Elle éclate d’un rire qui ressemble à un miroir descellé qui explose dans la baignoire lorsque vous êtes patiemment plongé dans l’eau chaude. Cela coupe. Les molosses m’entourent.   
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Mais retentit un coup de feu ou ce que je crois identifier comme tel.

Un bruit mat. Une fuite. Un éclat de voix théâtral. C’est Guillaume !

VIII

Guillaume est un lutin. Enfin presque. Il porte un pantalon de cuir ajouré, un carquois et des nattes de jeune fille. Ses poignets sont sertis de bracelets et son cou d'une lourde chaîne de vélo. Cela dénote un peu non ? Ah ça, pas de doute. Mais le tout était dans la partition. Il bondit comme un kangourou quelque peu titubant et se met à réciter du Nelligan. Puis il toupille le sol de ses mocassins vert d’eau. Un deux trois tra la la. Et s’écroule instantanément. Seuls ses petits poings frétillent encore dans l’espace désormais inconscient.
IX

Les prêtres sont à la lumière ce que les éteignoirs sont à la bougie. Et s’il ne s’agit que de tuer la flamme alors, utilisons du dioxyde de carbone. C’est une expérience passionnante que de mélanger de la levure chimique avec du vinaigre, car le vinaigre va réagir en libérant de l’hydrogénocarbonate de sodium. Et pouf, plus de flamme. Il est réveillé mon lutin, mais peut-être pas beaucoup plus lucide. Ou alors il parle d’un monde que je ne connais pas. Mais il n’est pas seul. Un autre énergumène est assis à la table. Une sorte de moine norvégien, accoutré de bure et harnaché de coutelas comme un boucher juste diplômé. Et vous Anad, qu’en pensez-vous ? Franchement j’hésite. L’un se tourne vers l’autre, mais lequel ? Il hésite. Tous deux rient fortement. Il hésite. Ma réponse n’a pas l’air de les satisfaire.
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L’un me brandit sa lame sous le menton, l’autre me calotte le visage. J’ai l’impression d’y avoir perdu un peu de ma fierté.
Ils me traînent sur la surface de la Terre et en appellent visiblement à des divinités que je ne fréquente pas.
Et elle, et elle !
Elle est toujours nue. Ses dimensions sont considérables et je prends le temps de mieux les apprécier. Il y a quelques instants elle me menaçait. Maintenant elle est simplement offerte à la corruption sensuelle de mon regard. Alors je ne me prive pas d’en profiter. La connaissais-tu ? Pas encore. L’avais-tu vue ainsi désengagée de tout voile ? Quelque peu, mais suffisamment pour en avoir tiré toutes les conclusions. C’est Guillaume qui l’a occise. Et tu sais pourquoi ? Oui tu le sais. Mais tu ne sais pas que tu sais que tu le sais
X

Ce qui du moine fait l’habit n’en fait pas pour autant un Saint. Si les dents du seigneur arpentent allégrement le monde et parfois le déchirent dans un élan insoucieux, qui donne à l’enthousiasme divin un mouvement profondément cruel – bien qu’élégamment sadique –, seuls les maîtres peuvent se revendiquer de la douleur infligée, et n’ont-ils pas créé l’univers pour s’en repaître ? Mais il leur faut des subalternes qui comme leur nom l’indique n’ont rien de très brillant. Et même si Yahvé a lu Nietzsche il n’en demeure pas moins analphabète puisqu’il précède la lettre et n’en a nul besoin pour déchiffrer le monde. C’est le moine qui glose et se gausse. Il fait battre sa robe comme une Espagnole de Séville un après-midi de canicule sa jupe bariolée et esquisse un petit pas de tango qui mériterait une partenaire digne de ce nom.
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Mais seul Guillaume le contemple d’un air impassible. Je reste persuadé qu’il doit absorber ces substances qui ouvrent aux hères tels que lui les portes d’un Éden incontrôlé. Le moine sourit et Guillaume chante. Ce qui me surprend un peu ce sont les gestes inattendus du corps féminin exposé à la vue depuis le début du chapitre précédent. Je me tais. Mais les frémissements charnels se poursuivent. Et bondissant de la table où elle aurait dû être allongée ad vitam æternam, Joséphine, côtoyant le ciel dans un hurlement polyglotte, s’empare d’une mitraillette russe et abat les deux pantins désormais silencieux. Alors, dans une diction impeccable, mais absolument érotique, elle plonge ses yeux dans les miens et m’ordonne : suis-moi.        

XI

Suivre ou ne pas suivre. La question ne se pose pas ou ne s’est jamais posée.
Une onde, un choc électrique, une variation cutanée sur lit de vibrations rythmées par des batteurs jamaïcains. J’obtempère et galamment lui laisse la primeur du chemin et l’initiation des itinéraires. Elle plonge sous l’escalier, fait jouer un mécanisme secret, se glisse dans un tunnel. Je ne comprends pas pourquoi elle évolue à quatre pattes alors que le plafond est largement surélevé. Mais soit elle a décidé de régresser vers des régions où l’exhibition des chairs est une offrande à la vision, soit elle a d’autres raisons que ma raison ne connaît pas. Je préfère l’imiter. Et grand bien m’en prit. Car au-dessus de nos têtes, pour n’évoquer ici que ce qui de nos êtres pourrait encore posséder une once de dignité, se déchaîne un orage ciselé de lames et autres objets tranchants qui viennent percuter les boiseries raffinées et plantent leurs crocs dans les matériaux sculptés de notre fuite.
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Tout le monde n’a pas eu la même présence d’esprit, car j’entends un râle, accompagné d’un cri de douleur et du bruit sourd d’un corps sur le sol. Quelqu’un nous avait suivis, mais ne nous suivra plus. À peine mon ouvreuse de liberté s’est-elle retournée. Pour conclure par un pfouff, il ne méritait pas mieux. Je ne saurai jamais qui était ce « il », ni comment mesurer ses mérites.
Nous marchâmes.
Je protestime.
Mes genoux n’en peuvent plus. C’est fini. Elle ouvrit une trappe qui laissait filtrer un tintinnabulement de cascades et sauta dans le vide. J’en fis autant. Le bouillon tumultueux qui s’empara de moi me fit imaginer des scènes diablement enserrées de bras et de jambes, de troncs et de poitrines virevoltantes, de cuisses déchaînées dans la nuit sulfureuse des étreintes torrides.
Ce fut le cas.
Nous nagions maintenant dans un petit ruisseau qui conduisait à un escalier tout de mosaïque vêtu. De là il suffisait de se hisser pour profiter d’un salon comblé de canapés en cuir de buffle première peau avec croûte de trois millimètres. Le poinçon était milanais, les reliefs sur les murs directement arrachés d’un temple inca et les miroirs semblaient songer au passé alors qu’ils n’étaient qu’une invitation à la braise du futur. La sienne fut particulièrement chaude, comme l’haleine du feu quand il devient extase.

XII

De Joséphine j’ose affiner le parfum de l’estime et jouer de l’infime feuille qui fuit en ligne. Le commissaire est branché sur Internet. Il a découvert une série de photos qui la montrent sous toutes les coutures.
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Les siennes, celles qui sont venues enrober de promesses ses contours alléchants, et celles que ses ongles, dents, et avidités d’épiderme ont su découper sur la nuque du temps. Cela parfois saigne un peu, mais la langue de la belle s’en charge. Tout comme ses caresses qui viennent abreuver le corps de celui ou celle qui ont jeté leur sort entre ses mains, ses déchaînements ou ses appétits sans limites. Mais Joséphine a disparu. Le commissaire, lui, cherche à retrouver cette muse qui a quand même réussi à faire passer de vie à trépas Guillaume et son moine, qui s’est révélé authentique, mais déjà impliqué dans de nombreuses équivoques sexuelles. Jamais condamné, toujours muté, il a fait de l’art de l’esquive une habitude outrepassière. C’était de la légitime défense. Bien évidemment. Elle n’a fait que se protéger. Oui, oui. Et vous, que faisiez-vous dans cette scène pour le moins ambigüe ?
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XIV

L’odeur d’un être est une trace oblongue qui creuse dans la mémoire le sillon des allusions. Et celle de Joséphine m’avait fait penser aux détours fleuris d’une vallée qui fond dans le torrent qui la borde. Un bœuf écarlate qui tire sur ses liens, un âne vigoureux qui observe l’espace et initie ses amitiés avec une poule caquetante, mais diablement colorée. Comme pour le goût des cachous que nous mangions enfants, il est parfois difficile de situer avec précision le lieu des dégustations et l’adresse du plaisir. Or l’enquêteur a besoin de minutie. Il fouine, taraude, imagine, certes, mais finalement il décide. Du récit il croit en posséder les règles et les structures. Mais l’amnésie est souvent là, à guetter sa proie. Où avais-je senti cette fragrance exaspérée qui me conduisait à la lisière des gouffres définitifs ?
Fermer les yeux, laisser la réminiscence entrer à pas discrets pour soudain voir éclater la musique des cors et des trompettes. On s’en souvient.
Et d’un coup le jaillissement. Je savais. Je savais où j’avais humé cette fraîcheur et apprécié cette densité. Il y avait ce petit temple inattendu, perdu dans l’herbe chaude des étés sans contrainte, sinon celle des actes fusionnels et ponctionnels. Ce doux bruissement de l’eau et cette accalmie bucolique, je les reconnaissais. Ce furent peut-être mes premières amours, ou bien les deuxièmes. Il y a là tant de confusions qui mêlent à l’oubli la délicatesse de la dépossession. Mais je voyais un corps magnifique, courbé et dévorant, sublimé de tensions et de torsions, offert aux expériences de la sensation. Mon Dieu, que nous avions dérangé les oiseaux et les lapins avec nos ébats tout autant sonores que violents.
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J’en garde encore les cicatrices sur la peau. C’est dire. Mais ce corps-là n’était pas celui de Joséphine. Ou bien ma lucidité avait définitivement pris le chemin des écoliers.
Pour en avoir le cœur net, il fallait que je m’y rende.       

XV

Le jeu des échos est cette langue secrète des absences qui guettent derrière les parois le signe d’un retour. Revenir est toujours illusoire, certes, mais source aussi d’une initiation méritoire tout autant que novatrice. Enfin, peut-être, quand les amis des retrouvailles n’ont pas trop vieilli et qu’ils n’ont pas encore arboré cette sentence des désabusés qui pensent que le monde a cessé d’exister alors qu’il leur survivra sans problème. Déjà imaginer un quelconque déluge postérieur relève d’une supercherie  
bien prétentieuse, mais croire même que quelque chose a disparu pendant la mesure de notre destinée me semble plus qu’infécond. Et je rêve dans ces hypothèses métaphysiques alors même qu’une jouvencelle se trémousse devant moi. Une jeune fille qui ressemblerait à une épure si elle ne possédait pas cette poitrine insolente et ces jambes harmonieuses. Elle danse la garce pour les yeux du désir soudain réanimé. Et j’envisage quelque franchissement de frontière au cas où elle ne les aurait pas encore dépassées. Quel âge as-tu chère enfant ? Celui des subtilités croissantes et des joutes alanguies. Tiens donc. Serais-tu majeure ? Parfois une mesquinerie en cache une autre et le regard que je lui lance ne doit rien laisser au hasard. Et soudain j’entends hurler une voix d’ogre, surgir un monstre vêtu de peaux d’ours, car il lui en a bien fallu plusieurs.
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Il porte en apanage le gourdin des guerriers et son front est cerclé d’un diadème peu seyant, mais serti de pierres précieuses. Il bave, il gesticule, il préempte mon avenir pour mieux l’encercler de vengeance. Il lève son arme jusques aux cieux et alors que je crois qu’il va m’expatrier outre-tombe me serre dans ses bras. Tu ne te souviens pas de moi ? Et là il pleure.

XVI

Devrais-je ? Car si ne pas reconnaître ses amis est une erreur, attribuer une affection par simple nécessité n’est pas une preuve de maîtrise fraternelle. L’amnésie est souvent un simulacre qui s’avère une simple dérive. Mais qui fait prendre quoi à qui ? Je vous le demande. C’est d’ailleurs ce que je tente en suggérant à ce géant inquiétant que j’ai été frappé sur la tête depuis notre dernière entrevue, et à plusieurs reprises.
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Ah, Amazon je connais. Le chien est navré. Lui qui a tout fréquenté du Chat du Rabin (2), qui estime que même si un félin ne peut pas, malgré tout, côtoyer les hautes sphères de la pensée, est quand même désolé de cette réflexion stupide. Je montre le commissaire du menton. Peu importe. Le Religieux et le chien quittent la pièce en exégèsant. C’est David. C’est Salomon. Et la mystique. La mystique... Le commissaire me sert un verre de champagne espagnol. Les temps sont durs. Il murmure. J’ai un petit neveu qui se nomme David. C’est un jeune con. Quant aux skis français, ils ne sont plus ce qu’ils étaient.
(2) C’est pour nous l’occasion de donner la réponse à cette question : quel est le nom du bateau de Marius dans Le Secret des Sermonins ? La carte postale permettait d’obtenir les informations suivantes : pour la souris verte attirée par le morceau de fromage : appât. Pour le Chinois qui faisait jouer ses baguettes dans un bol : riz. Et pour Jérusalem, bien évidemment : Sion. Donc le bateau s’appelle : Apparition.
II

Nisi Dominus, nisi Dominus (1). Ça se chante en contre-ut, en soprane des rêves, en souffrance ultime ou en adhésion parfaite. C’est un ange noir qui délite ses mots comme on pose en sentence la question définitive. Il poursuit. 127 chez nous, 126 chez les chrétiens ; c’est un psaume des degrés. Si l’éternel ne bâtit pas la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain. Si l’éternel ne garde pas la ville, celui qui la garde la veille en vain. Mais avant tout il est lié au pèlerinage. Monter, monter les marches, car nous avons tous un lieu à habiter, à découvrir. Là où le ciel rejoint la terre pour délivrer l’énigme et libérer le rôle. Le chien hoche la tête. Et déclare. Parfaitement, parfaitement. Et surtout il faut le lire avant le birkat hamazone.
(1) Le lecteur se souvient que Maurice l’écoutait déjà.  Y aurait-il une relation entre les deux récits ?
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Elle sort d’un sac de sport Décathlon (3) un harnais. Elle se nomme sûrement Joséphine ! Et m’attache à une statue torchère qui me fait me souvenir d’une belle Orientale de Knokke-le-Zoute un soir de demi-brume. Les chiens aboient et j’entends le Spanish Caravan, une légende d’Albéniz revue et corrigée par les Doors.  
Je sens l’haleine de la meute courir sur mon dos et ma nuque. Vous savez, le véritable centre de la tragédie grecque, c’est la drachma. Elle fait virevolter un fouet et me glisse dans le creux de l’oreille. Je vais te la jouer en chair et en os. Qui est-elle ? Et pourquoi éprouve-t-elle ce besoin impétueux de se mettre nue pour me punir ? Cela détourne mon attention vers ses qualités inouïes et pourtant délictueuses. Je ferme les yeux pour mieux me concentrer.
(3) L’auteur renonce parfois aux avances vulgaires adressées aux grandes marques. Il s’oriente aussi vers les labels grands publics. Obtiendra-t-il plus de résultats ?
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Rien, j’étais là par hasard. Un haussement de sourcil, un seul, un renfrognement désabusé, une vague menace (4). Mais il n’y croit pas. Savez-vous où elle se trouve ? Non. Bien sûr, bien sûr.
Portiez-vous un masque ? Un masque, pour quoi faire ? Ce serait ridicule. Je pourrais lui rappeler quelques déguisements plus décalés, mais je m’abstiens. Ou c’est lui ou ce n’est pas lui, donc.

XIII

Et pourtant j’ai une idée.
(4) Il est encore trop tôt pour poser directement la question de savoir si le commissaire est bien celui qui, le visage dissimulé, m’avait enlevé. Et sans doute n’aurait-il pas répondu, surtout s’il n’y était pour rien.
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Cette récurrence semble le perturber au plus haut point. Je pense qu’il verserait encore plus de larmes s’il n’était pas déstabilisé par l’état de ma mémoire. Sur le crâne ? Oui, oui, et cela fait mal. Mais avec quoi ? C’est variable : une casserole, un pic à glace, un os de mouton congelé… Ah tu aimes Hitchcock ? Non. Ce n’est rien, continue. Un tableau de maître. Lequel ? Léger. Il pouffe, mais compatit. Ce sont les rouages du récit. Pas Klee ? Non. Parce que celle du mystère reste inaccessible.
Mais toi, où t’ai-je rencontré ? Dans une vie ultérieure. Évidemment, tout devient clair. Observe-moi. Il prend la pose, joue avec ses mains pour allonger son menton et donner l’illusion qu’il ressemble à un iguane (5). Venise ? Son œil s’éclaire. Oui, oui. Cherche encore.
(5) En écho aux mascarades d’un autre Tome… le 3e peut-être…
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Mais l’annonce de sa volatilisation avait entraîné un spasme vital, puis d’autres, qui l’avaient contraint à s’élancer sur les routes d’Italie et d’ailleurs. Un ailleurs bien improbable qu’il ne cernera jamais. Entre ses projections et ses travaux de recherche mémoriels, une ligne s’était creusée, doucement, mais avec une force inébranlable. Le géant pouvait ainsi réciter du Omar Khayyam pendant des heures, en perse ou en arabe, ce qui laissait perplexe le connaisseur, pour aussitôt hurler à tue-tête du Johnny Halliday.
Mais qui est l’enfant qui t’accompagne en chorégraphiant mes œillades ? Il prend un peu de recul, détaille ma libido et arraisonne mes pulsions. Ma fille ! Sa voix est lourde, grave, presque triste. Ta fille ? Oui, ma fille. Vu le ton je préfère ne pas lui faire part de mes appréciations esthétiques.
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Tu es son frère ? Non, son cousin scandinave. Scandinave ? C’est un peu la même chose que germain, mais plus au Nord. Je comprends. J’ai croisé récemment un Norvégien incertain. Moi je suis suédois par mon père et finlandais par l’amant de ma mère. Viens, embrassons-nous.

XVII

L’anticipation, cette conscience propulsée sur l’horizon et repliée sur le passé, n’est que la définition même du présent. Mon géant, après avoir fait son deuil au Népal, a toujours voulu retrouver celui qui avait croisé la route ultime, mais câline, de son cousin.
En fait il ne l’avait jamais connu (6).
(6) Ce qu’Anad ignore, c’est que ce géant-là avait simplement reçu une photo d'eux, envoyée depuis Venise par on ne sait qui…
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Mais quand même. Quel âge a-t-elle ? Le regard devient un peu plus ombrageux (7). C’est le problème de l’amitié. À tout moment elle peut basculer dans la haine. Seize ans. Ha, quand même. Elle ne les fait pas. Et comment se prénomme-t-elle ? Zaïa. Zaïa !
Et là il me colle une tape à faire sombrer le Mont-Blanc dans un délire destructeur qui le métamorphoserait en un tas de scories parfaitement combustionnées. Le géant me fait remarquer que ce mot n’existe pas dans le dictionnaire, et moi je lui réponds qu’il n’est pas censé lire le texte au moment où l’auteur l’écrit.
Je t’ai eu ! Éructe-t-il. Cette foutue chienne n’est évidemment pas ma fille, c’est une prostituée albanaise qui doit bien avoir trente ans.
(7) L’auteur tient à donner quelques précisions élémentaires. Car les aventures d’Anad Ecmo seront adaptées au cinéma. Et le récit doit se rapprocher, parfois, du scénario à venir. Il en fera, pour quelques dollars de plus, une conversion palimpsestueuse.
Elle ne les fait vraiment pas. Et si tu la voyais nue ! De puritain obsédé par la défense du territoire familial il est devenu trivial, ce qui me gêne un peu. Pas beaucoup, mais un peu. Et Joséphine ? Quoi Joséphine ? Où est-elle ? Je n’en sais rien. Alors comment se fait-il que toi et ta joyeuse compagne soyez ici ? Nous vivons. Il me montre un moulin, celui que j’étais venu chercher. Là où les embellies de la farine type E 50 avaient ouvert à mon adolescence des perspectives de ravissement. Ses ailes sont immobiles, mais il n’a pas changé.
Et là, quelle déception ! Je vois une femme de cent cinquante kilos, apparentée visiblement à la dernière des sorcières, horriblement laide, qui me fait signe de la main. Lol ? Elle sourit. Tu m’as reconnue. J’hésite.
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Tu n’as pas changé… Ses paupières se plissent légèrement, ce qui engloutissait ses yeux. Rien de grave, puisqu’ils sont inexpressifs. Voilà ce qu’était devenu mon amour de jeunesse.

XVIII

Quant au parfum il s’était évaporé. Ce qui au respect de son évanescence aérienne ne devait guère compenser le drame pondéral. Qu’advienne. Elle m’entoure ou m’englobe dans ses bras. Me donne trois baisers sur la joue. Et revient à ses premières préoccupations, les plantes sauvages. Certaines sont douces au palais, mais mortelles, les plus âpres, nutritives et efficaces. Cette métaphore existentielle me renvoie aux longues soirées passées à disserter sur les vertus naturelles. Moi j’en aurais volontiers goûté de cette nature qui arborait un physique alléchant. Mais il fallait attendre et attendre. La longueur est certes une fière alliée de la langueur, mais parfois
le désir est puéril et s’effondre dans l’ennui. Refaire le monde grâce à l’abandon de certaines nourritures, pourquoi pas. Repousser le moment d’en consommer d’autres, plus vitales, non. Lol ne m’avait jamais rien refusé, sauf que la patience qu’il fallait déployer pour qu’enfin nous agissions était bien supérieure à celle exigée dans le cabinet d’un médecin dit spécialiste. J’avais lu Baudrillard. Trop c’est trop.
À qui as-tu confié le secret de ton parfum ? Je savais combien ses recettes étaient sacrées et avec quels soins elle les protégeait. En matière de cuisine c’était parfait. Personne n’avait envie de les connaître. Parfois l’invention culinaire des végétariens pouvait réconcilier l’Homme avec la viande. Elle m’avait rendu définitivement carnivore. Mais pour les huiles de massage, les savons colorés ou les senteurs subtiles elle était imbattable.
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Guillaume et lui se comportent comme des complices de la légion. Ils évoquent d’anciens souvenirs : des lupanars vietnamiens et des hôtels de passe mexicains. Et la liste des prénoms qu’ils composent dépasse l’imagination.
Que fait-on de lui ? Je comprends qu’ils parlent de moi. Faut nous en débarrasser. Vous savez je suis coopératif je peux me débarrasser tout seul. Ma proposition n’obtient pas l’adhésion espérée. Pensez à votre cousin.
Finalement je n’ai pas l’esprit de famille. Ils m’enfermèrent dans le sous-sol du moulin. Qui sentait bon la farine. Encore cette odeur suave qui reliait Joséphine et Lol. Que venaient faire mes pérégrinations sentimentales d'antan dans cette galère ? C’est peut-être cette question qui recèle toute l’énigme. Et qui décède, ou qui a réellement expiré ? M’a-t-on trompé depuis le début ? Et pourquoi me faire écouter dans ma geôle le Carmina Burana ?
A qui ? Je l’ignore. Tu l’ignores ? Oui. Tu l’ignores sincèrement ? Mais oui. Je n’ose y croire (8). Elle s’assied sur une pierre. Se frotte la narine gauche, une habitude de toujours, et soupire. Ou alors, ou alors... Ou alors ? Et là une détonation.
C’est à nouveau Guillaume. Toujours lutin, mais cette fois-ci il récite du Gaston Miron.
XIX

Qui croire et que croire ? Le détour est parfois le meilleur chemin qui mène à la vérité. Mais celle-ci est bien capricieuse et maîtrise l’art du maquillage avec une dextérité qui parfois exaspère. Lol est couchée sur le dos et ses jambes repliées dévoilent un shorty pantagruélique. Le géant scandinave s’approche et déclare. J'en étais sûr. Elle disait l’avoir perdu, mais elle l’avait caché, c’était son préféré.
(8) Les dialogues paraissent parfois ampoulés, mais ils sont indispensables à la bonne conduite du récit.
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XX

La langue d’un chat ne vaut pas que l’on s’y fie. Et je ne suis pas surpris de voir surgir le corniaud. Il tâte mes liens et mes chaînes. Flaire l’ambiance. Détaille les amorces d’un rire et préfère s’asseoir pour adopter cet air qui m’insupporte. Goguenard et prétentieux. C’est mieux que d’être attaché et prisonnier de sa propre médiocrité. Il rétorque maintenant ! Et m’insulte. Non, non je te traite. Tu me traites ? C’est vache, non ? Tout l’amuse. Un cadenas sur le cou d’une infante. Un souvenir périssable ou même le tatouage inexorable que j’ai accepté de faire à Wazemmes. Comment m’as-tu trouvé ? Pas difficile. Il me montre l’écran de son iPad. Depuis longtemps il surfe sur les réseaux sociaux. À commenter l’actualité, à ironiser sur la politique, à lancer des rendez-vous collectifs pour défendre le règne animal contre la tyrannie des humains.
Une amie Irish Wolfhound m’a envoyé un tweet, hashtag petit adulte abandonné. Sous l’homme il y aurait la femme, puis viendrait la gent canine. C’est sa manière à lui de critiquer la théorie du genre.

XXI

La trace est à l’écrit ce que le rythme est à l’oral. Un signe, une opacité, l’ébauche d’un geste au scalpel de la plume ou l’attrait du calame. Le chien mord dans une carotte, ce qui m’étonne. Mais je lui dois ma liberté, alors… Ensuite il entame une pomme ; casse des coquilles de noix entre ses mâchoires. J’attends son bon vouloir. Savoir s’éloigner pour mieux être présent. Voilà qu’il recommence avec ses digressions philosophiques. Et tu es présent à quoi ? Au lieu, à l’espace, fut-il sexué. Pour cela j’ombre ton regard d’une perspicacité soutenue, j’implore les images pour mesurer l’étendue de tes obsessions. Et je la vois. Qui ? Elle.
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Celle qui peut ou va pouvoir. Je suis sceptique... Quand le chien hausse les épaules, il ressemble à un portemanteau. Il lit dans mes pensées. Mais la veste pour le moment c’est toi qui la prends. Et quand il ricane, sa dentition forme un cercle quasi parfait.

XXII

L’aloi s’allie aux ailes du lion. Je retrouve le phrasé du commissaire. Qui anticipe. Oui, c’était bien moi, mais sans être tout à fait le même. Étais-je un autre ? Non. Étais-je celui que je devais être, pas plus. Le voilà frappé du même mal que le chien. En fait Félicie m’avait appelé pour vous kidnapper. Elle voulait vous attirer chez elle et vous faire croire à un véritable enlèvement. Il fallait que je vous donne un indice, pour vous rassurer. Je ne le suis pas vraiment. Les salaires dans la police ne sont pas très élevés. J’ai donc pris sur moi de créer une agence de sécurité.
Qui vous oblige à jouer les barbouzes ? Non, mais j’ai dû accepter de rendre ce service un peu spécial. Pourquoi cette soudaine envie de me ravir ? Aucune idée. Discrétion et soumission, zéro question. Et pour quelle raison l’appelez-vous Félicie ? C’est son nom. Je croyais qu’elle se prénommait Joséphine.
Félicie aussi.

XXIII

Retourner chez Arthur et espérer revoir la belle cordelière. J’avais repéré, à son accent, qu’elle était lyonnaise, même si son teint délicatement doré insinuait qu’elle venait des îles. C’était aussi une jolie créole. Et les liens qu’elle tissait m’avaient catalysé de façon épique. Puis elle m’avait laissé dans une chambre que je croyais sienne, mais qui appartenait à un margoulin italien, soucieux avant tout de recouvrer le loyer et de toucher son écot.
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Le côté commun avait visiblement échappé à la fière qui s’était évanouie dans la nature ou la ville brumeuse, chargée de doutes et de pollution malicieuse. Le propriétaire des lieux avait compris mon innocence et m’avait simplement incité à transmettre ses menaces à la voleuse de nuits. Sans doute une prostituée, avait-il ajouté. J’aurais aimé le contredire, par le fait même qu’elle ne m’avait demandé aucune participation financière, mais son rictus malveillant m’avait poussé au silence.
Chez Arthur tout était de nouveau rouge. Pas de jambes gracieuses, les tabourets étaient nus. Mais Arusha, elle, était là, assise sur une banquette aussi langoureuse que les yeux de notre Massaï. Tout en elle vibrait de magnificence et la symphonie qu’elle murmurait reposait sur des accords parfaits. Un cache-cœur qui ne cachait rien, une jupe de cuir qui dénouait ma folie,
et ce léger dessin de la dentelle de ses bas, parfois visibles lorsqu’elle étirait ses sourires vers moi. Peut-on interroger une femme aussi sublime sur une autre, même si elle nous avait vus partir ensemble ? J’étais un peu emprunté, car les seuls compliments qui vagabondaient dans mon esprit renvoyaient au domaine de l’aéronautique, son fuselage, son carénage, ce profil effilé de déesse, cette vitalité qui vous téléportaient vers les cieux et les étoiles… La poésie guyanaise possède bien des fleurons, mais ne provenant peut-être pas de Gourou.
En avait-elle un ? Elle était nimbée de mystère, de pierreries à découvrir dans une exploration méticuleuse. Elle m’observait avec complicité et de ses pupilles émanait une passion ardente. Jean-Baptiste est en Nouvelle-Calédonie. J’en étais très satisfait. Sans doute que la science avait besoin de ses lumières.  
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Alors, pourquoi les refuser aux Canaques, ou aux Caldoches, selon ses opinions politiques ? Elle soupira dans l’ombre de ses paupières presque closes. Je suis une femme infidèle. Quel bonheur !

XXIV

La guipure peut danser comme on esquive, promettre sans tenir, tenir sans promettre. Provoquer ces légers déplacements du rien qui lui donne toute sa densité. Trembler, plier le jour, dénuder la nuit. Marquer aux fers les brûlures de l’absence et griller l’amoureux au brasero des exaspérations épidermiques. Tentacules évanescents, reflux vivifiés de tempêtes érotiques, envoûtement des neiges sous le magma. Est-ce le plein qui dénoue le vide ou le néant qui crayonne la pâleur des inventions ? Arusha était partie, mais elle occupait tout l’espace de mes pensées.
Le téléphone se mit à sonner, le commissaire.
Venez Sam Spade, nous allons avoir du travail. Bip.

XXV

Le venin des raies, le poison de l’amanite, le souffle mortel de l’acide ? L’anthrax des épistoles, le piège des étreintes létales ? La piqûre des abeilles de l’immensité, le couteau des précipices, la falsification des dates de péremption ? Allez savoir. La chair était marbrée de petites taches, et les veines avaient tracé sur le corps un réseau routier violet. Les ongles étaient devenus bleus et les cheveux rêches comme de la corde. Le cou pendait vers le sol et les jambes étaient dressées vers le plafond. Le regard s’était volatilisé dans les murs, mais les mains avaient tenté de saisir la réalité qui les dépossédait. Et pourtant, qu’elle était belle !  Je l’avais retrouvée. Morte, un peu plus que morte même. Mais j’avais l’impression qu’elle me parlait ou qu’elle s’adressait à mes fibres.
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Car ses seins demeuraient tendus vers l’infini, mais avec souplesse. Ses cuisses étaient affûtées comme la flèche d’un arc, mais avec tendresse. Et son ventre plat semblait palpiter encore avec liesse.
Le commissaire était ulcéré. Par mon attitude présente, celle passée. Mais il n’osait pas intervenir. Ses dernières facéties l’inclinaient à être prudent. Oui je la connais. Oui la première fois que je l’ai rencontrée j’ai été assommé. Oui je l’ai revue. Oui notre ouragan a été digne d’un cyclone. Là, je le vis dubitatif. L’ouragan est-il plus violent que le cyclone ? Avez-vous déjà entendu parler de l’œil de l’ouragan ? Il est agacé, c’est assez fréquent. Les odyssées cosmogoniques ne le tentent pas, ou peu.
Qui l’a tuée ? Je ne sais pas. Mais mon métier est de chercher.
Il rit, se retourne vers ses adjoints, Lucas, Lapointe, Torrence et Janvier. Philip Marlowe va nous aider. Il suffit de le laisser faire.
XXVI

La tornade balayait le panorama désert. Et les ténèbres erraient sur la solitude de mon enquête. Qui étais-je donc pour croire que j’appréhenderais ce qui se tramait ? Un exilé de la pensée, un égaré du questionnement, un affamé de délires abscons… Un poulet plumé plutôt me susurra le chien. Un évanescent du raisonnement ajouta le commissaire. Avant de partir.
La mer jetait son dévolu sur le sable concupiscent. Je contemplais la plage où s’ébouriffaient quelques marcheurs ou coureurs. Trois cavaliers menaient leur monture comme s’ils allaient conquérir l’Espagne. Régulièrement ils venaient parader devant nos yeux. Et frapper le sol dur empli des souvenirs de la marée. Un peu d’écume aux lèvres des ferveurs.
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Elle s’en moque. Elle tient à m’entourer de ses allusions perfides. Arusha dit que je suis une petite dévergondée, parfois même elle me traite de petite garce.  Qu’en pensez-vous ? Rien. Rien ? Elle sourit en coin, replie ses jambes et puis s’étire comme un chat, ce qui n’est pas du tout du goût du chien.
Vous ne devriez pas être rentrée, à cette heure, lui suggère-t-il. Vous avez sûrement quelques exercices scolaires à terminer. Elle éclate de rire, lisse sa jupe plissée et rétorque. Arusha a-t-elle aussi des devoirs à accomplir ? Cela sent le roussi. Comme le rôti qui colore doucement dans le four. Une excuse. Mais elle insiste. Croyez-vous en la fidélité des femmes ? Je n’en sais rien, je suis célibataire. Justement, vous devriez être le mieux renseigné. Je travaille trop. Je n’ai que peu de temps à consacrer à la gaudriole. Ce n’est pas flatteur. Ou excessivement.
Ce qui me surprit ce fut la visite de Dolorès. Elle a le cil brillant. Il est vrai que nous partageons la complicité du manteau qui évoque une situation scabreuse ou agréable, selon son appréciation. Mes amies parlent beaucoup de vous. Elle pouffe coquettement. Tout ce qu’elle fait est raffiné, mais son espièglerie et la légère perversité due à son âge ou à ses penchants m’irritent un peu. Que sait-elle exactement ? Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Ni un coup de matraque. Mais qu’est-ce que le hasard ? Nous étions peut-être là pour vous recueillir. Ben voyons ! Si vous pénétrez dans ses prunelles, vous êtes définitivement perdu. Comment est-il possible qu’une gamine maîtrise à ce point le jeu de la séduction ? Est-on jamais étranger ou étrangère à ce à quoi l’on assiste ? Je lui montre le mouvement du ressac, la procession des promeneurs et la cueillette des crevettes.
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Ne dites pas à mon père que je suis venue, il n’aimerait pas forcément que je vous apprécie tant. L’air incrédule est une façade que je travaille depuis des lustres, surtout avec les très jeunes filles. Elle s’approche, je me rétracte. Puis m’embrasse sur la bouche et se sauve en courant. À bientôt.

À bientôt, à bientôt. Le corniaud l’imite nonchalamment. Tu es jaloux ? Non, perplexe. J’avais envisagé que tu finisses en prison. Mais pas pour cette raison-là. Ne te réjouis pas trop vite. Et de le caresser entre les deux yeux, ce qui le révulse et le contraint à montrer les dents. Pour le chien méchant, tu devrais t’entraîner un peu.
XXVII

Résumons.
Deux femmes mortes, l’une enrobée de caramel, l’autre brutalement occise, mais sans sucre.
Une demoiselle effrontée.
Sa mère adoptive.
Joséphine (ou Félicie) disparue.
Une troisième victime intermédiaire, Lol, tuée par le géant, soutenu par Guillaume.
Un moine norvégien.
Une prostituée albanaise.
Un commissaire qui pratique l’enlèvement cagoulé.
Un chien suspicieux.
Et moi, interloqué.
Et cette histoire d’odeur partagée…
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XXVIII

« C’ÉTAIT
issu stellaire […]

LE NOMBRE […]
Évidence de la somme pour peu qu’une
ILLUMINÂT-IL

LE HASARD […]
Choit
la plume
rythmique suspens du sinistre
   s’ensevelir
aux écumes originelles
naguères d’où sursauta son délire jusqu’à une cime
    flétrie
 par la neutralité identique du gouffre »

Mallarmé allait peut-être m’aider. Dolorès n’avait pas fait allusion à son texte pour rien. Sa rouerie était trop précise. Elle savait pour moi et Arusha et que je n’étais pas très concerné par la morale du couple.
Ainsi toute agonie vit dans l’hallucination. Et l’abrupt nous tend les bras, attirant notre œil vers les sphères célestes ; et cette égalité qui n’est plus tout à fait la même, car on lui a retiré la possibilité d’être plus ou moins. L’indifférence n’en est pas une. Tout cela pour afficher LE nombre ! Illusoire, mais conscient du chiffre. Pour mieux montrer ce qui du hasard était sinistre. Et là, la révélation ! Les « écumes originelles », la « cime » et le « gouffre »
La Corse !

XXIX

Trouver les cochons fut difficile. Je ne m’y étais pas rendu depuis des années. Le canyon du Poggio est fantastique, mais nécessite une certaine agilité pour franchir les pentes rocheuses, ou bien il suffit de contourner tranquillement les chutes.
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Se baigner dans les vasques est exceptionnel(9). Et le bruit rassurant de l’eau a un petit arôme Feng shui qui fait briller les mille et une étincelles de la sérénité. Je flâne dans les senteurs sauvages, étonné d’être seul, mis à part quelques alouettes qui survolent le torrent en espérant que je me heurte « au saut de la mort ». Lorsque j’arrive enfin au départ du canyon je découvre un vieux montagnard enfoui sous une casquette bariolée.

En la Corse of course se croisent les crissements et les croyances qui cuisent l’âme des cuistres. C’est impossible. Le commissaire ! Que faites-vous là ? Je vous attends. Vous avez toujours été lent à la compréhension. J’en ai la preuve.
Mais vous ne pouviez pas savoir que je viendrais ici, où la crête jouxte l’insondable. Il faut croire que si. J’ai hésité entre cet endroit et les cascades de l’Ortala. Mais l’écume des origines, c’est bien ici. Et comme j’avais un rendez-vous pas trop loin, j’ai opté pour la première proposition. Bon, j’avoue que le chien m’a modérément guidé en me glissant à l’oreille que vous aviez sorti de votre bibliothèque le livre de Mallarmé, laissé ouvert à la page déjà citée et crié, Mon Dieu c’est bien sûr, Poggio !
Mais est-on plus avancé pour autant, je l’ignore.

XXX

Les meilleures pizzas ne sont pas forcément italiennes.
(9) L’auteur, de plus en plus affecté par des difficultés financières à répétition, fait ici appel au bon cœur des instances touristiques de la Corse.
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XXXI

Les soleils couchants parfois brûlent l’esprit pour instiller en incandescence les limailles de la fureur, celle qui fugue dans la nuit pour mieux effleurer l’épiderme des étreintes passionnelles, celles qui déchirent le soupir pour cisailler les veines de l’ardeur. Le commissaire m’a déposé sur la terrasse de ce petit restaurant aux nappes à carreaux, blanches et rouges. Il doit se rendre à Bonifacio pour un hommage à Anouk Aimée et a même loué une Ford Mustang. C’est louche, mais…
Le chorizo s’est bien marié aux huiles pimentées. J’avais besoin de chaleur. Et la pâte était fine à  souhait.
Mon portable sonnait comme un diablotin. Mais je n’avais pas envie de répondre. J’avais reconnu le numéro de Dolorès, d’Arusha, puis vu apparaître une Lyna.
Mais l’ombre rougeoyante de mes fantaisies ne communiquait pas avec ces prénoms,
fussent-ils curieusement incendiaires.
Tout à coup, surgit de la salle un visage doté d’une plastique à vous couper le souffle, scintillant sous ses entrelacements de lanières, qui laissaient présager des seins onctueux et une peau majestueusement perlée. Quant aux jambes la robe les avait libérées de toute contrainte et elles glissaient dans mes fantasmes comme une paume désormais adoucie. Le corps s’assit en face de moi, ouvrant une perspective somptueuse.
Quelques traces de bronzage ornaient ses joues à peine brunies. Et j’imaginais ce qu’il avait dessiné sur le reste de ce paysage charnel.
J’aime la géographie. Moi aussi, et la spéléologie, la vulcanologie… Venez donc visiter mes orées clandestines. L’appel était trop puissant pour y résister. Et la résistance n’était de toute façon pas au programme. Que les dauphins se régalent et les vieilles mères prudes renoncent à leurs a priori.
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XXXII

Au petit déjeuner, nous profitions du lever du jour, vaporeux, rose et violet. La belle-de-nuit anonyme avait jeté une mantille sur ses épaules, dont l’entre-voyure, merci à Léo Ferré, était une invitation à toutes les pulsions érotiques.
Mais une autre silhouette se détacha sur l’horizon, celle de Zaïa, qui mit fin à cette parenthèse enchantée.
Moi avoir apprendre que commissaire parti. Moi vouloir dire toi un secret. Toi chercher mauvaise route. Toi devoir aller Paris ou Clermont-Ferrand, creuser le vite et absorber le cheminée. Nous construire rocher, et descendre contre l’arbre. Toi comprendre ?
Pas grand-chose, mais peu importe. Cette Albanaise mémorable est trop magnétique pour la contredire.
Nous voiture. Je lui réponds, moi pas avoir. Moi avoir.

Toi miner le caillou. Oui, oui. Toi miroir cassé. Où ? Porto Veccio.

XXXIII

J’ai mieux interprété ses gestes que sa langue. Ses baisers furtifs qui accompagnaient le trajet et ses glissements de mains fortuits, mais profondément agréables. Elle était joueuse. Petite allumeuse de désirs. Il fallut s’arrêter deux ou trois fois pour composer avec l’impatience. Mais Porto Veccio pouvait attendre un peu, enfin selon moi.
Elle connaissait les lieux comme sa poche et à force de mouvements sémaphoriques indiqua une crique. Un sentier, quelques ronces, un petit cours d’eau pastoral. Un jeune homme qui porte une cicatrice s’approche de nous. Il est armé. Vive la Corse libre ! Il a une voix suave.
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Elle m’absorbe, m’enfouit, me dilate pour mieux me faire gonfler. Je suis un ballon, une pipe, une torsade de miel, un copeau de vivacité, le nerf assoiffé de dimensions inespérées. Elle va et vient comme si de rien n’était. Mais ses cuisses et ses fesses racontent une histoire de tangages bafoués par le revers des absolus lapidaires. Pas de ceux, stupides qui renient leurs propres aspirations, mais de ces éclairs qui chocolatent les rapprochements labiaux et les enlacements cosmiques. Elle nous offre un martini et se sert une vodka.
Bonjour Anad, quoi de neuf ? Ma fascination. Je n’avais pas mesuré l’ampleur de nos échanges. Et la dernière fois qui était aussi la première vous avez disparu. Pourquoi m’avoir enlevé ? Tu poses trop de questions. Profite simplement du moment présent. Mon Albanaise appuie ses dires : Carpet la Diem !
 
Deux compères encapuchonnés l’escortent. Depuis peu je suis assez rétif aux dissimulations. Des balbutiements, des tractations et nous voilà, Zaïa et moi, maîtres d’un hors-bord dernier cri. Quand nous sortons de la baie, nous entendons des coups de feu et des hurlements : vive la Corse libre !
Me revient un mauvais souvenir de plumes et de colle. Mais passons.

XXXIV

Quand nous accostons sur un rivage de pierrailles, il est déjà trois heures de l’après-midi.
Un perron nous guide vers une villa gigantesque. La piscine surplombe un vide qui m’effraie et l’eau s’écoule doucement vers la pente. La mer est là, immense, impressionnante.
Et là je sens une fragrance mnémonique. Joséphine s’avance vers nous. Aussi nue qu’un enfant qui vient de naître.
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Faut-il vous appeler Félicie ? Encore une question... Viens, je vais te montrer quelque chose qui te fera réfléchir.
Le miroir était colossal, mais fissuré. Et nos reflets s’en trouvaient perturbés. Elle possédait désormais trois nombrils et quatre jambes. Tu vois qu’il est possible d’ajouter sans multiplier ou de multiplier sans dénaturer. Suis-moi. J’en avais désormais l‘habitude. Elle nous mène dans le palace, gravit l’escalier en granit poli et singulièrement, car le palier est nourri de diverses portes, frappe d’un coup presque désabusé la grenouille verte en faïence qui orne le mur. Dont un pan s’ouvre.
Toutes les saveurs de l’Orient étaient là. Des danseuses énamourées, des vierges à peine parsemées de tulle, des fées rassasiées d’impertinence. Une fontaine faisait jaillir son eau, dorée comme l’or des pieds de toutes les déesses qui vrombissaient mes jubilations.
Oublions Baudrillard. Trop ce n’est jamais assez.

XXXV

Joséphine ne m’en dit pas plus. Comme le flair légendaire du chien, je reniflais le parfum cryptique au centre de cette histoire. Après deux ou trois jours, Félicie dut se rendre sur le continent. Et moi-même, je pris l’avion pour Clermont-Ferrand. L’Albanaise s’était évaporée, sa suggestion non.
Après la Corse, Clermont me semble un peu triste. Mon hôtel le Princesse Flore(10) est situé à Royat. Mais quelqu’un a déjà réservé une « suite luxe » à mon intention. J’en suis charmé.
(10) Là encore, il ne faut y voir que de la bassesse. L’auteur ne sait s’il devra se rendre à Clermont, mais dans ce cas il aimerait être invité et traité en V.I.P. Merci au directeur de l’hôtel. S’il le souhaite, il est possible d’ajouter deux ou trois détails, comme la composition du petit déjeuner ou l’amabilité du personnel.
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Si j’ignore ce que je viens chercher ici, quelqu’un a anticipé ma venue et le choix de ma résidence. Dans la chambre, une enveloppe qui contient un carton. Je reconnais les effluves de Lol et de Joséphine. En lettres douces est écrit :
« La grandeur n’attend pas le nombre des années, pas plus que l’année du nombre. »

J’irai visiter le site des volcans, mais pour le moment je préfère tourner et retourner ce message dans mes doigts et dans ma tête. Le téléphone sonne et j’entends une sonorité ni féminine ni masculine me déclarer. Est-ce un zeugme ? Je suis trop facile à déceler. La voix poursuit. Venez donc ce soir à l’hôtel particulier des De Braxmeister. Ils seront très heureux de vous présenter leur collection. Leur collection de quoi ? Encore une intrigue.
Comme cette Lyna qui a tenté de me joindre. Comment est-il possible que son nom figure dans mon répertoire ?
Certes, sa photo n’y est pas, mais ses ondulations démoniaques présumées, si.

XXXVI

La pierre de lave est une façade qui agrémente le secret d’un aspect trop sombre et trop froid. Mais d’autres l’ont déjà dit, parfois un ancien volcan laisse resurgir le feu. Trouver les De Braxmeister n’a pas été chose facile. Un ancien correspondant de « Police centre », un blog dédié aux mystères noirs m’a aidé. Il travaille désormais chez Michelin comme pilote d’essai. Et se souvient de la fois où il m’a sorti du pétrin en Chine.
Il sifflote devant le Princesse Flore au volant d’une splendide Aston Martin(11). Le ronronnement, le confort, la vitesse. Prendre l’autoroute de Millau et sortir à Issoire, remonter vers Champeix et accepter de ne plus savoir où l’on est.  
(11) Si l’auteur n’a pas le droit de rêver !
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Au carrefour du gîte, tourner à droite, longer la rivière sur deux kilomètres environ et s’engager sur un chemin de terre cabossé. Encore trois kilomètres, une forêt, une clairière, et déboucher devant une grille immense. Là, constater qu’une route goudronnée passe devant le portail. Pourquoi nous avoir fait suivre cet itinéraire ? Pour faire plus vrai.

Deux gardiens engoncés sous des tuniques de soldats des forces spéciales, huit chiens d’alpinistes et un Hummer jaune citron. Je te laisse là, tu devrais être attendu. Attendu, attendu, oui, mais pour quel avenir ?
Je m’approche doucement à pied, et sans me poser la moindre question, l’un des miliciens appuie sur une télécommande. La porte se déploie et un Range Rover surgit jusqu’à ma hauteur. Une femme en descend. Montez.  
Une autre amazone conduit le Tout-terrain. La promenade dure suffisamment pour que je puisse observer mes deux compagnes de route.
Nous nous engouffrons dans un tunnel. Malgré l’obscurité la plus profonde, j'entrevois les deux profils aquilins de mes deux gardiennes. L’une exige de me passer un bandeau autour des yeux. Je lui réponds que je suis déjà aveugle. Obéissez. Soit. Dernier regard sur ses cuisses de vénus et sur les seins de la conductrice. Si elles ne sont pas jumelles alors elles vont de paire.
Le véhicule stoppe. Un léger courant d’air m’indique qu’une portière a été ouverte.
On me guide, on me frôle, on m’embrasse sur la joue ! On me caresse le dos, le ventre, le visage.
Mais qui donc ?
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XXXVII

Je suis Lyna, me susurre-t-on dans le creux de l’oreille, avant de m’ôter le tissu qui m’avait dérobé la vue.

XXXVIII

L’éducation est le piège des enfances. Jetée aux mille musées du monde ; traînée de l’Hermitage au Moma, de la Tate Gallery (désormais Tate Britain) à la Mosquée du cheikh Zayed d’Abou Dhabi, du somptueux opéra de Sydney à la reconstitution de Chambord en Chine ; entourée d’un aréopage de précepteurs tous plus diplômés les uns que les autres ; protégée par une armée de parachutistes issus de Harvard, mais entraînés en Irak ; championne d’escrime d’équitation et de flûte traversière ; muse des derniers fils de Warhol et des héritiers de Picasso, obligée de partager la passion de sa tante pour Frida Kahlo ;
Lyna conjugue l’art de la beauté absolue et la connaissance vertigineuse des textes sacrés. Et elle a eu le malheur de traduire cette phrase inconnue, mais révélée :
« Dieu est un parfum. »

Soit, pourquoi pas, mais lequel ? Et là, a commencé le drame de sa vie.
Invitée à New York, lors d’un congrès des « Charpentiers de l’Ardoise », courant religieux aussi abscons que riche en dollars, elle eut – naïveté de la jeunesse –, la très mauvaise idée de déclarer devant tous qu’effectivement, Dieu était un parfum. Et d’argumenter :

J’ai découvert un manuscrit du XIVe siècle, dans une bibliothèque de Malte. La qualité des enluminures prouve qu’il provient d’un monastère cistercien, ou peut-être de l’abbaye d’Aubazine.
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Et comment la salle a-t-elle réagi ? Mal, très mal. Personne ne m’a encensée.
Elle ne perd rien de son humour, ni de ses traits fascinants, ni de ses volutes ovoïdales qui en disaient long sur la profondeur de son analyse.
Mais pourquoi avoir cherché à me joindre ? Je ne suis même pas croyant.

XXXIX

Si les réponses peuvent parfois parvenir avant les questions, il faudra, dans le cas présent, patienter un peu. Car un téléphone fluorescent se mit à vibrer et Lyna de s’élancer debout, dans un mouvement artistique où les jambes graciles décollaient et la poitrine enchaînait avec rythme. C’est là que j’ai remarqué qu’elle mesurait au moins deux mètres huit.
Nos hôtes vont nous recevoir.

Certains chercheurs à qui je l’ai montré pensent aux Cîteaux ou à un lieu plus reculé, dans les Pyrénées. Ses motifs correspondent à ceux tracés dans une peau de mouton celte. Mais ce qui est établi, c’est qu’il s’agit d’une reproduction d’un texte plus ancien, datant d’un siècle apr. J.-C., que nous avons retrouvé à Antioche. Il est curieusement écrit en farsi.

D’où, c’est une hypothèse, la prédilection pour le cuir du ruminant. On peut y songer. En particulier, lorsque l’on sait que Saint Tivalius a vécu à Glasgow. Mais c’est une autre histoire.

Or que dit ce texte ? Que si certains ont cru pouvoir se nourrir de fumée, c’est que celle-ci était chargée de fragrances délicates. Le thym, le romarin, le jasmin et bien d’autres saveurs subtiles. Mais aussi de l’essence de l’âme. La nature de Dieu y serait avérée. Il appartiendrait à l’ordre des parfums.
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Les De Braxmeister sont une grande famille qui a fait fortune à Grasse. Ils possèdent désormais des champs de fleurs aux quatre coins du monde, cherchant la perle rare, la sublime octave de la langueur, le savoureux repli du raffinement inaccessible. Aussi quand leur chemin a croisé celui de Lyna ils ont estimé que leur devoir était de l’accompagner dans sa quête du Graal des parfums. Comment ne pas aider cette fée qui provenait du même milieu qu’eux ? Surtout que leur aînée était tombée amoureuse de la chercheuse.

Mais ils s’étaient aussi associés à son destin chaotique et aux dangers qu’elle courait depuis sa déclaration fracassante. Quelques éminents spécialistes décidèrent néanmoins d’adhérer à ses théories.
La soirée fut agréable. Puis bercé par les effluves des alcools magiques absorbés tout au long du repas, les deux sylphides qui m’avaient introduit dans les lieux me raccompagnèrent chez moi. C’est alors que je remarquais qu’elles devaient au moins mesurer deux mètres douze chacune.

XXXXI

Le sentiment de dérision peut traduire un penchant à l’humilité tout autant que la conscience d’une inutilité profonde. La mienne en l’occurrence. Le chien hausse les épaules, peu surpris de cette entrée en matière. Tu sais bien qu’il vaut mieux ne rien chercher pour trouver. Enfin dans ton cas. Il pianote sur une tablette posée à même le sol. Que fais-tu ? Je communique. Avec qui ? Certes pas avec des humains, j’y ai renoncé depuis longtemps. Je ne me suis pas coltiné Diogène pour croire encore à ces balivernes.
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Donc tu communiques ? Donc, en effet. Il n’est pas loquace, c’est un peu le défaut des outils de haute technologie. Mais il commente certains des messages qu’il reçoit. Nom d’un chien ! Il se tourne vers moi, goguenard. J’aime utiliser des expressions idiotes. Regarde. Il tourne l’écran vers moi. Pour me donner à voir une éblouissante bichonne maltaise qui apprécie la vie. Elle est très joyeuse, cela me change de tes ambiances de crime.

Et comment l’as-tu rencontrée, ton amie canine ? Sur le réseau « so-chiot ». Mais ce que tu ignores c’est qu’elle a pour maîtresse une adepte des évanescences sucrées qui mesure deux mètres huit.

XXXXII

Les rues sont parfois peuplées de soupirs et l’enchaînement des passions ne peut manquer de conduire le nomade au cœur ténébreux des épisodes enfouis.
Une catacombe, une galerie sécrète, un cellier perdu sous les voûtes du destin ? Notre bichonne nous a donné une adresse, à la seule condition que nous taisions la scène à laquelle nous allions assister.
Des hommes masqués entrent sous une arcade éclairée d’une croix violette qui clignote. Nous prenons leurs pas et le couloir de gauche qui débouche sur une petite salle aux vitres sans tain. Ils se tiennent debout et chantent un psaume breton. Ce qui ici est plutôt surprenant.
Puis vient une femme nue, entravée aux chevilles et aux mains. Elle a les yeux bandés. Je la reconnais.
Ils la disposent sur la table en chêne. L’un d’entre eux reprend un nouveau thème à l’infini :

Qui pertoris manibula sacriliago…
Qui pertoris manibula sacriliago…
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Le chien murmure, c’est du catalabrèse. Visiblement, il maîtrise cette langue. Et cela signifie ? Que par les babines se perd le sacrilège. C’est tout de suite plus clair. Mais le grand prêtre a changé de registre. Il court à travers la pièce, éructe et bave. Il plonge sur le sol, se roule en boule, sursaute en hurlant. Il lève les bras, puis se dénude, ne gardant sur lui qu’un léger tissu qui enrobe sa taille. Puis ouvrant la porte d’une armoire, il en extrait un samovar. Un autre officiant sert le thé à tous les présents. Qui perdent connaissance les uns après les autres.
Un léger nuage envahit la pièce où nous sommes, le corniaud et moi. Et nous nous évanouissons de même.

XXXXIII

Ça se gâte pour vous. Et quand le gâteau gîte, le geste s’égare. Gare au mauvais temps pour les marins grivois du galactose.
Le chien et moi sommes toujours dans le salon d’où nous avions cru pouvoir assister à une scène révélatrice. Eh oui, tout fuit, tout s’échappe, l’œil est illusion, l’oreille est hallucination, quant à la bouche. Le chien regarde le commissaire d’un air désabusé. Il a l’habitude de ses divagations métaphysiques. De l’autre côté du miroir, Joséphine, toujours nue, mais recouverte de caramel. Un joli dessin, tout en ciselures et sculptures. Des tracés désinhibés pour des sentiers haletants certes, mais fatidiques. Le corps est une dune et le vent son cinéaste. Bon je suppose que vous allez me dire que vous n’y êtes pour rien, que vous vous trouviez là par hasard, que des serpentins multicolores ont envahi votre raison et que, bien évidemment vous ne vous souvenez plus de rien. Il a l’air épuisé notre policier. Alors le chien décide de l’aider. C’est la bichonne. La bichonne ? Oui la bichonne. Alors si c’est la bichonne…  
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Lui expliquer que l’on nous a dupés, et que l’on nous fait jouer le mauvais rôle. Je vous croirais presque, vu comment vous vous y prenez pour résoudre vos affaires. Mais que le chien se soit fait entortiller façon tortellinis, cela me paraît peu convaincant. En y réfléchissant, je le rejoins, c’est peu probable.

XXXXIV

L’étrangeté d’une situation ne vient pas du contexte, mais de l’interprétation. Le corniaud m’explique ainsi son point de vue. Et il s’agit bien de cela. Car bien que Joséphine gisait là, inerte ;  celle qui était entrée nue pieds et poings liés n’était pas elle, mais Arusha. Il me ramène la jupe de cuir dissimulée dans l’angle de la pièce, cela ne faisait aucun doute (12).
(12) Les formes charnelles parfois se confondent, mais les détails vestimentaires et leurs effluves ne trompent pas.
Le chien s’écrie : Odeur et damnation ! Que signifient donc cette subtilisation et ce jeu de prestidigitation ?
Il me suggère de prendre une photo du corps, chose que j’accomplis avec plaisir. Et de la comparer avec celle effectuée lors de la découverte macabre de notre première disparue. Le caramel, toujours le caramel. Les deux œuvres sur chacune des peaux se rejoignent. Et commencent à représenter l’esquisse d’une silhouette.

Entretemps, le corniaud, qui a subtilisé un peu de ce tableau sucré sur la victime, le fait fondre, et l’arôme qui se dégage à cet instant précis est le même que celui qui flottait sur Joséphine et sur Lol. Nous avançons. ! Je me permets de hausser le sourcil. Le chien demeure imperturbable. Il soupire. Le problème c’est que visiblement il manque une partie du puzzle... Il faut donc craindre un nouveau crime. Mais qui en serait la cible ?
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Arusha dont ne sait pas ce qu’elle est devenue ; l’Albanaise féérique ; la savante Lyna ;  ou peut-être aussi la maîtresse de la bichonne ? D'ailleurs, cette dernière, pourquoi est-elle intervenue ?

XXXXV

Comment découvrir leurs adresses respectives ? La plus facile à retrouver est sans doute Arusha. Mais ce qui est élémentaire ne l’est certainement pas. Qu’ont fait d’elle les membres de la cérémonie ? J’ai une intuition. Le chien hoquette. Cela lui arrive quand il doute de mes capacités. Même deux. Deux quoi ? Deux intuitions. Je reste de marbre. Justement. Justement quoi ?(13)  
Le marbre. Celui que nous avons admiré chez Félicie. Tu l’appelles Félicie. Oui, j’aime les variations. Après tout, les hommes cagoulés s’y trouvaient aussi.
(13) Le procédé semble un peu répétitif. Il l’est.
Mais comment peux-tu localiser un endroit où l’on t’a emmené de force ? Rien de plus aisé (14).
Un blanc. Réfléchissons. Déduisons.

Tout commence chez Arthur. Une bonne table, ironise le chien en m’imitant. Nous nous sommes rendus chez cette apparition qui m’a séduit une première fois. Avant la seconde, j’avais été assommé. Par qui, cela viendra plus tard (15). Lorsque j’ai été enlevé et que l’on m’a jeté dans une camionnette, j’ai senti le ricochet des pavés, puis la douceur de l’asphalte, les soubresauts d’une route en mauvais état et enfin le rythme régulier des joints de ciment. Le chien exulte : la Belgique !
(14) Ici le piège narratif se referme sur l’auteur qui ignore tout de la suite, mais après tout, c’est son métier.

(15) Cette technique est dite « du moulinet ». Elle sert à tendre le fil de l’histoire sans prendre le risque de le casser ; car qui connaît le poids de l’énigme ?
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Ensuite vint le tintement d’une église, enfin de ses cloches. Je connais cet air par cœur ! C’est celui du West-Vlanderen de la région côtière. Nous sommes passés près d’une gare routière, d’une usine de caoutchouc, d’un magasin de chocolat et d’une friterie savoyarde. Savoyarde ? Le chien est un peu surpris. Moi aussi. Pourquoi la Savoie ? C’est celle de Tom. Il trouve le raccourci ridicule, mais rien ne l’étonne plus. Tom qui ? Celui qui pousse. Là il rit franchement. Il a les dents saines. La frite qui dore ne sommeille pas est un établissement connu. Et de dépendre mon pardessus qui me sert de couverture dans les opérations délicates. Nous nous rapprochons de Coxyde. Un rond-point ? Oui. Un passage à niveau ? Parfaitement. Un dos d’âne ? Absolument. Comment sais-tu cela ? Jappy. Jappy ? C’est comme Mappy, mais pour les chiens. Tu sais où nous sommes ? Où tu étais. C’est là que nous allons.
Devant le garage Mercedes-Benz (16) de Veurne, nous avons décidé de réfléchir à l’avenir. Le chien hume, je sens. Un autre bruit, celui du vent dans les sangles du drapeau de la concession. Et là, une limousine, six portes aux vitres fumées et aux pneus immenses, s’élance. Il n’y a pas de hasard. Suivons-la.
Elle bifurque dans la rue principale de La Panne et stoppe net devant un restaurant grec. Deux colosses en descendent, dansant ce qui ressemble fort à un haka. Ils se tapent les cuisses, lancent des cris vigoureux, arpentent la rue en se cognant la poitrine. Puis, après s’être étreints entrent chez Zorba en hurlant, « Zorba une mousse ! » C’est un rébus ?
Non, une petite plaisanterie.
Soudain je me souviens.
(16) Le goût du luxe à nouveau.
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Mais que fait Dolorès dans cette taverne ?

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Le corniaud et moi avons contourné le pâté de maisons. Puis découvert l’entrée de service. L’enseigne qui domine la maison clignote. Le Z s’éteint, puis se rallume. Mais le O fait de même. Et ainsi de suite. Le nom n’est donc jamais complet. Cela doit avoir un sens... Du couloir qui mène aux cuisines s’échappent des relents de friture et d’oignons. Une vapeur d’ouzo. Et le délicat grésillement de l’agneau rôti. Mais un homme se dresse devant nous. Il doit se prendre pour un ours, car il balaie l’air de ses mains velues. Où sont ses griffes ? Il m’observe de ses yeux chafouins. Et déclare : T’es qui là ? Volontiers. Avec un peu de sel.
Il n’apprécie pas la galéjade et sort un couteau immense de sous son tablier maculé. Les borborygmes qu’il utilise sont hermétiques. Mais après tout, je ne suis pas mexicain. Le chien a utilisé sa mâchoire pour tirer sur une nappe. Du coup les plats en fonte s’écroulent. Il est fort le chien. Et assomment le boucher. Et voilà. Je prends son portefeuille. Il a une double nationalité. Mexico-Camerounaise. Attention à ce qu'il ne la perde pas. Progressons. Et là, le corniaud se tape sur la panse et part dans une hilarité imprévisible. Mousse, Haka. Je viens de comprendre !
Il a dû se désopiler un peu fort, car d’autres margoulins ont débarqué et nous ont menacés de leurs armes à feu.
En avant vous deux !
Il faut parfois savoir acquiescer.
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Dolorès arbore un grand sourire. De celui du serpent à sonnettes. Anad, je ne vous attendais pas. Ou si… Que cherchez-vous ? Arusha. Arusha a disparu et mon petit doigt me dit que vous avez une idée. Si je la cherche, c’est que je ne sais pas où elle est. Ça suffit, donnez-moi un indice ! Non, je ne suis qu’un néophyte curieux. Vous mentez ! Pourtant, je suis celle qui aide les errants… Ingrat ! Elle me désigne du doigt et ordonne aux deux rugbymen de me relâcher. Nu, sur la plage. Il a l’habitude. Cette fois-ci, il le fera à la brune !
Quant au corniaud, j’ai une ou deux précisions à lui apporter. Je vois dans l’œil de ce dernier qu’il a l’air d’apprécier la situation. Je lui jette, méfie-toi du collier. Il répond. Dans le mouton c’est mon morceau préféré.
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Le sable a des allures de tapis rouge. Et l’ancêtre qui fume m’observe comme si j’étais l’extra-terrestre qu’elle espérait depuis des décennies. De quelle planète venez-vous ? Elle n’a plus de nom. Je le savais. Mais vous ressemblez à un être humain. Parfois. Venez, je vais vous réchauffer. Je crains le pire. Elle ne ressemble pas tellement aux sirènes que je fréquente. Elle me guide vers une maison sur pilotis. Un chien malinois renifle les étoiles. Une tortue dort sur le dos. Un chat multicolore cisèle la nuit. Que voulez-vous boire ? Un petit Oban serait le bienvenu. Allons-y. Je vois un cadre sur la cheminée, et je reconnais le visage d’une des femmes. Qui est-elle ? Une enfant adoptée. Comme toutes les jeunes filles peintes sur cette toile. Elle, est devenue Basketteuse aux États-Unis, puis romancière en Suède et espionne en Asie.
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J’ai perdu sa trace. Mais on m’a dit qu’elle serait revenue en France. Alors je la cherche. Et quand je cherche, je trouve. Vous l’avez croisée ? Sans doute, mais je ne me souviens plus ni quand ni où. Cela vous reviendra. Elle est trop calme, trop douce, même pour une centenaire.
Ma vision se trouble. Mon hôtesse ouvre un tiroir, en sort un pic à glace, une seringue, un canif et un tire-bouchon.
Mieux vaut dormir…

L

Les réveils sont parfois de coton et dans certains cas d’acier, de soierie ou de lave, de velours ou d’épines. La tronche hilare qui me scrute me prive de mes explorations, mais m’oblige à me penser vivant.
Le chien se lèche consciencieusement la patte droite.
Il y a là Dolorès, la femme figurant dans la composition picturale, une bichonne royalement entretenue, notre Albanaise et ses jardins sulfureux, deux All blacks et de vieille dame point.
Tous semblent attendre que je converse.
Alors conversons.
Bonjour Lyna. Vous allez bien ? Oui. Et vous êtes aussi la maîtresse de cette élégante. Oui. Vous cherchez le morceau de sucre. Oui. Et l’odeur du destin. Oui.
Jusque-là il suffisait de remonter l’histoire. Mais de quoi papoter après ?
Dolorès m’extirpe d’un mauvais pas. Elle m’explique que la sorcière, pour reprendre ses termes exacts, qui m’a recueilli est une « passeuse », qu’elle a vendu des milliers d’enfants, en a fait tuer des dizaines d’autres. Nous soupçonnions qu’elle était ici, sur la côte. Et qu’en vous abandonnant sans défense elle tenterait de vous faire parler. Elle l’a fait ? Oui, et cela est un peu gênant. Enfin surtout pour vous.
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En effet, la drogue qu’elle m’a donnée m’a libéré de tous mes freins. Je lui ai expliqué comment, à l’âge de cinq ans, j’ai commencé à être obsédé par les jambes des femmes. Puis mes yeux s’élevant peu à peu, j’ai découvert d’autres perspectives, et ainsi de suite…

LI

Dolores n’a jamais cru en l’histoire que lui avait contée Arusha. Elle sait, comme en intuition, que celle-ci a tué ses parents. Pour mieux l’attirer auprès d’elle et de Jean-Baptiste. Il faut que vous sachiez qui il est. Un satyre, un monstre, un démon qui n’a pas attendu midi. Elle a creusé plusieurs pistes qui ont révélé qu’Arusha venait de Colombie, qu’elle y avait fait la connaissance de Jean-Baptiste, qui travaillait alors pour la DST. Tous deux ont été arrêtés, puis relâchés.
On les aurait repérés en Nouvelle-Zélande, où ils auraient fait couler un bateau. Je crains que son récit ne soit pas très crédible. Des Français s’en prendre à un navire à Auckland ! Et qui plus est, propriété d’écologistes !

Ses yeux langoureux finissent par me convaincre. Quelle ravine sinueuse dans la luxure… Quelle descente dans le carmin des ébahissements… Le chien siffle, pour me ramener à la réalité. Alors mon regard glisse sur les genoux de la jeune innocente. Je la suivrais dans tous ses raisonnements, dans tous ces arraisonnements. Quelle grâce…
Puis la bichonne prend la parole. Elle est un peu poseuse, mais si élégante.
Et désigne le corniaud en affirmant. Il est le seul à posséder le flair suffisant.
Il pavoise, l’arrogant !
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LII

Car il s’agit bien d’une affaire de flair.

LIII

Surprise saponaire serine le serpent de sève qui savait suave la sévérité des serments.
Le commissaire s’est fait passer un savon. Mais il a l’habitude. Et il commence à envisager que les meurtres sont perpétrés pour une seule et même cause.
Pour le moment il m’a convié à un curieux office. Le légiste qui détaille, ausculte, étudie et prélève. Je suis un peu choqué, mais pas tant. Les deux corps offerts à notre vue sont enlacés, dans une étreinte parfaitement ordonnée, comme si l’assassin avait disposé la scène. Cela évoquerait Pompéi, ou les embrasements de l’amour. Ici, les deux nymphes qui m’avaient amené chez les De Braxmeister.
Elles semblent encore plus grandes, mirifiquement courbées, sublimement reliées dans un destin fusionnel, ou presque. L’une est absolument nue, si ce n’est un collier de jade. L’autre porte un short de cycliste. Mais toutes deux sont recouvertes de caramel. Dessiné, travaillé à la lame de l’imagination, le sucre doré étire ses flèches et ses pointes, joue d’un alphabet de circularités et de jours transparents. Les photos rejoindront celles déjà prises et le puzzle se reconstituera un peu plus.
Le chien fait le tour de la pièce. Pourquoi ici ? Dans le moulin ? Et le parfum a envahi la pièce. Les meules pourraient encore broyer et les céréales tomber dans les sacs de jute. J’appuie sur le bouton qui commande le mécanisme et la roue tourne. Or la poudre qui choit n’est pas du blé, ni du seigle, ni de l’orge… Le corniaud me fixe, dubitatif. Tu as consommé une substance illicite ?
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Non... mais le sarrasin est bien une plante qui appartient à la famille des polygonacées. Oui ? Et il ne contient pas de gluten. Mais encore ? C’est tout. Ah bon.
Je me suis laissé emporter par mon adulation des plantes.
Et grain qui gémit croît en germe du crime, ajoute le commissaire.

LIV

Les pavés luisent sous le crachin urbain. Et je ne sais toujours pas pourquoi le corniaud et la bichonne nous ont demandé de nous rendre dans cette impasse. Une courée sombre et malfamée. Pas de celles qui ont été réhabilitées, mais un coupe-gorge qui effraierait le plus téméraire des héros. Ce que je ne suis pas.
Un bruit suspect. Je frémis. Un chuchotement. Les deux canins qui sourient m’indiquent une fenêtre.
Par laquelle je vois. La vieille et son berger belge, le lutin et son compère, le norvégien exaspéré, et... Arusha.
Comment les avez-vous détectés ?
Les essences colombiennes et le portable du moine. La bichonne prend une posture élaborée. Le malinois nous a un peu aidés. Il ne supporte plus tous ces meurtres de femmes trop belles pour mourir.

LV

Visiblement, les complices ne sont plus d’accord. Arusha s’évertue à brasser l’air de ses bras, le moine hurle, le géant s’est retranché dans le silence et Guillaume, une fois de plus, veut en découdre. Au sens propre. Car il a sorti de son uniforme des ciseaux (17).
(17) Dans certaines régions du monde, les règlements de compte se font à l’emporte-pièce.
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L’ensorceleuse décatie attend son heure. Quant au malinois, il jette un regard discret vers l’extérieur, où nous bravons la pluie verglaçante.
Roubaix est une ville charmante, parfois un peu humide.
Les choses ne s’arrangent pas. Nous subissons les vociférations d’Arusha. Traîtresse !, Salope !, Garce !, Putain ! J’en passe et des meilleures. Tout un florilège d’insultes qui de but en blanc sont associées au nom de Dolorès. Je vais la tuer ! Nous aussi ! Au moins ils se sont fixé un objectif commun. À propos où est Dolorès ? Elle avait sous-entendu que nous la reverrions bientôt, puis nous avait quittés sans autre précision.
Subitement, la lumière s’éteint. Des trépidations furieuses fracassent la nuit. Trois oiseaux jacassent sur la gouttière. Un félin s’étire sur le toit. Deux passants invectivent le gouvernement.
Une moto vient stationner devant la maison, dont les stores sont brusquement refermés. Pourquoi pas des volets ? Cela nous aurait épargné les rugissements d’Arusha, qui, à la vue du motard, devient muette comme une tombe.
Oui c’est…
Nous ne percevons pas la suite.

Sans transition, une explosion déchire les vitres du premier étage et un incendie rageur s’empare des lieux. Une conduite de gaz cède faisant tressaillir tout le quartier. La Harley prend feu. Et des jets de pierres menacent notre position.
Il faut reculer.

LVI

La suspicion est à la vérité ce que l’énigme est au suspense.
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LVII

Tonnerre qui tue n’est pas tension téméraire, mais tumeur mortifère.
Le commissaire fume un cigare. Il a vu une émission sur Arte, consacrée à Cuba.
Mais évasion sans vision n’est que vénale vivisection.
Vivisection ?
Oui. Car on a retrouvé dans la maison détruite un poulet découpé en morceaux.
Peut-être pour le cuire ?
Alors que la volaille est bien là, tous les protagonistes de l’histoire se sont effacés.
Le chien suggère que les champignons calcinés et les fragments d’une bouteille de vin jaune prouveraient le projet culinaire. Mais le commissaire ne veut rien céder. Il faut avouer qu’il n’a rien d’autre à se mettre sous la dent.
Sauf un cylindre en acier qui a résisté aux flammes.
Et qui contient un parchemin, recouvert de signes cabalistiques incompréhensibles pour les béotiens que nous sommes.
La bichonne, qui n’a rien perdu de son sang-froid, affirme qu’elle connaît un exégète capable de le déchiffrer.

LVIII

L’être est posé sur la tête, les jambes en l’air. Il porte un survêtement à lignes et des bottes en caoutchouc.
Il nous intime l’ordre d’entrer et de nous asseoir sur des poufs marocains en cuir. Ensuite il se déplie et prend la position du lotus, il enchaîne avec celle du faon démuni et enfin celle de l’hippocampe désabusé. C’est un sage. Rien ne l’étonne plus. Sauf, malgré tout, le parchemin. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible…
Pourquoi se met-il à pleurer ? Et à crier en verlan. Puis en anglais et en Chinois. Du mandarin, je crois.
Il se précipite autour de la table basse et invoque la grêle, les éclairs. Son excès de zèle ne manque pas d’efficacité. Car une flèche d’acier vient perforer sa poitrine. Et dans le fond de la pièce, nous entendons la cavalcade que fait Guillaume en se sauvant. Or, le tapis qui gît sur le parquet ne partage pas son enthousiasme. Les deux pieds se croisent et Guillaume nous offre un vol plané du meilleur effet. Les bras écartés, les genoux repliés, sans doute pour diminuer la prise au vent. Ses yeux sont un peu révulsés, moins que lorsqu’il s’écrase sur une lance dressée vers le ciel. Le résultat est déplorable. La pointe de l’arme a transpercé le lutin.
Le commissaire conclut.
Lutin qui butine bute à deux doigts du butin.

LIX

Le parchemin gardera son secret, mais pas les poches du nouveau mort.
Nous en sortons :
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La photo d’une sculpture en caramel. Deux mégots. Trois pinces à cheveux. Un livre écrit en occitan. Deux pièces de monnaie. Une facture d’électricité et l’addition du restaurant, qui bien évidemment n’est autre que celui d’Arthur.
Et si nous avions négligé une piste ?

LX

« Le cynodrome de Levasières  se trouve derrière la forêt ».

LXI

Ma messagerie m’affiche ce SMS. Et lorsque je rappelle le numéro, je tombe sur un disque qui déclare que personne ne vit à cette adresse.
Une collaboration entre la poste et Orange... Ou un dysfonctionnement de plus. Mais le texte est là, quoique fluorescent. Ce qui est curieux de la part de mon téléphone, jusqu’ici plutôt discret.
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Levasières ? Une forêt ?
Moi, j’y suis déjà allée, déclare Dolorès, surgie d’un ailleurs. Et de lever ses sourcils vers les cieux, tout en souriant naïvement. Enfin de sa naïveté à elle.
Arusha est passionnée par les lévriers. Surtout les barzoïs. Mais aussi les sloughis. Elle a possédé un Deerhound, mais qui n’a vécu que huit ans. Puis un silken windhound ou lévrier de soie, sympathique, un peu farceur. Régulièrement elle se rendait aux courses. Le goût du leurre... Même si le Greyhound est capable de le poursuivre à plus de soixante-dix kilomètres/heure. La bichonne et le corniaud écoutent son exposé d’un air subjugué. Nous, peut-être moins. Mais nous avons appris quelque chose. Et nous tenons sans doute le fil de l’histoire. Enfin presque.

LXII

Alors nous attendons. Cachés derrière les gradins.
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Quinze minutes plus tard coule en douceur une Maserati gran turismo (18). Qui se gare devant le club house. En descend Arusha, noblement vêtue d’une robe de cuir deux tons, puis Jean-Baptiste et un homme de petite taille qui porte un costume trois-pièces rose.
Mais au lieu de s’orienter vers le terrain, les trois s’éloignent, entrent dans un hangar et disparaissent. Nous les suivons. L’entrée du local est jonchée de matériel agricole (19). Puis un couloir mène à une autre salle. Au fond une porte coulissante, visiblement neuve. Derrière, un autre corridor qui bifurque sur la gauche. Et une seconde porte.
Et là, surprise ! Nous découvrons un spectacle improbable !
(18) L’auteur a décidé de placer la barre très haut. Mais ce qui est gratuit est gratuit.

(19) Comme au cinéma, tous les détails ont leur importance.
LXIII

Un groupe de jeunes femmes, toutes plus nues les unes que les autres, se tenaient assises en cercle, sur le sable doré du paddock. Les plus petites devaient mesurer deux mètres, les plus grandes, je ne sais pas. Et la démesure n’est que le délicat repas des folies passagères ou définitives.
L’une d’entre elles était attachée, les bras tendus vers les poutres. Elle portait le licol des esclaves et les liens des soumises. Arusha avait manifestement l’intention de la fouetter.
Regardez ce qu’il advient de celles qui trahissent. Elles méritent d’être punies. Elles attirent notre foudre. Nous sommes le destin en marche. Le corniaud note que la déclaration est un peu grandiloquente. Ce qui inconsciemment motive Arusha et sa colère. Digne d’une Gracieuse. Ce qu’elle est, hurle-t-elle.
Je viens des Reines de l’empire Matouba. Je suis la descendante de la princesse Alitanou. Je suis faite pour dominer. Et de faire claquer la lanière du fouet.
Trois lévriers admirent sa prestance, sans donner l’impression de vouloir défendre l’enragée. Au contraire, ils s’approchent du chien et de la bichonne. Nous sommes facétieux, dit le premier ;  fureteurs, renchérit le deuxième ; indépendants, certifie le troisième.

C’est le moment choisi par le géant pour faire son apparition. Il pousse un étrange véhicule, sorte de charrette à bras, mais surmontée d’un tonneau en cuivre, qui vibre et expectore, qui transpire et vocifère. Cela sent le sucre roux et la vapeur de cassonade. Qui veut de mon caramel ? Qui veut de mon caramel ?
Que conclure de cette mascarade ?
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LXIV

Le géant se met à chanter. En ouzbek, ou en russe. L’un des lévriers me considère d’un air mécontent. Lui ne confond pas les langues orientales. La barrique est à un doigt de fulminer. Et ce qui devait arriver arriva.

LXV

L’illusion n’est que la somme des éclairs multicolores qui démembrent le temps et les trajectoires. Une fumée épaisse envahit l’entrepôt. Des cris, des fuites, des corps avides de liberté et des yeux emplis de pagaye charnelle. Dans le brouillard sucré, je perçois des cuisses, des épaules, des poitrines onctueuses, et des cambrures magnifiées. C’est un ballet éperdu où chacune se rue à l’assaut de l’absolu. Une fugue que couvre peu à peu le Carmina Burana.
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Puis lorsque la nuée s’estompe, des militaires en armures envahissent l’espace. Ils portent des casques surmontés d’une plume framboise. Leurs bottes sont décorées de circonvolutions énigmatiques et la voix d’un haut-parleur s’impose. Stopper la mouve ! L’ordre est suivi d’effet. Toutes s’immobilisent dans des poses suggestives et quelque peu lascives. Mais ce ne doit pas être le but recherché par l’auteur de l’injonction, que je connais. Et que Lyna a bien identifié.
Outre sa diction singulière, malgré son masque de panthère quand elle entre sur la piste, je discerne ce petit motif sous le sein gauche. Un dragon à la langue de feu. L’Albanaise ! (20)
(20) Comme le récit approche de son dénouement, l’auteur a cru bon de renforcer le suspense par des points d’exclamation !
Elle lève son arme vers Arusha qui n’a jamais lâché sa captive, malgré la débâcle. Toi mourir. Formule appartenir moi. Mais avant toi souffrer beau cou.
La réponse d’Arusha ne laisse planer aucun doute sur ses compétences linguistiques. Elle renoue avec ses flots d’insultes qu’elle maîtrise à merveille et introduit des variations dans un crescendo qu’une oreille un peu chaste ne saurait supporter. Surtout à l’écrit.
Les militaires emmènent Arusha, Jean-Baptiste et l’homme de petite taille.
Puis l’Albanaise nous intime de nous dissiper.
Et nous nous dissipons.

LXVI

La mer a décidé de jouer au miroir des âmes, de refléter les soupirs évanescents et les inquiétudes existentielles.
Goélands déposés sur le sable comme par un office de tourisme, tracteur flamboyant qui lisse le sol, pêcheurs creusant en quête de vers de sable. Une femme d’une quarantaine d’années longe la côte en poussant son filet à crustacés. Ce qui ne surprendrait personne ici, à ce détail près qu’elle doit bien mesurer deux mètres vingt, et qu’elle ne cesse de jeter des coups d’œil vers la maison où nous nous sommes repliés. Et nous réfléchissons à la stratégie à adopter.
Le corniaud, tout à coup, s’exclame. Ça y est, ça y est. Bon sang, ça y est ! Cela doit être vrai, vu l’énergie qu’il dépense à nous persuader de l’intérêt de sa trouvaille. Fier de lui, il exhume un bout de papier, qui ne convainc personne. Sauf la bichonne qui est prête à tout lui pardonner. Les lévriers sont regroupés au fond de la pièce. J’ai le sentiment qu’ils jouent au poker. Mais je n’en suis pas sûr.
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Le parchemin, je l’ai décrypté. Ben voyons. Je l’ai mis en vente sur E-Dog et j’ai reçu une demande de renseignements. Un moine qui vit à Patmos. Passionné par l’histoire du fromage de chèvre. De chèvre ? Oui la Féta est trop salée.
Mais surtout il possède un exemplaire du document identique au nôtre. Et a réussi à le traduire. En grec ? Malheureusement oui.
Nous sommes consternés. Mais le chien s’amuse. Il a aussi une traduction en anglais. Et une autre en galicien. Et qu’est-ce qu’il signifie ? Une recette de cuisine.
Un mets succulent ?  Parfaitement. À base de cannelle, de safran, de miel, d’olives, de figues et de résine. Peu importe les détails qui évoquent la viande de mouton ou celle de canard. Car c’est le nappage qui est crucial. En subtils mélanges et dosages. C’est un élixir, un hymne à la joie, le nectar des dieux.
Et ce n’est rien de le dire. Car la sauce est aussi un parfum.
Nous nous figeons tous. Un parfum ! Absolument.

LXVII

Ce fumet est une déflagration, un déclencheur d’émotions, le moment absolu où rien ne peut plus être arrêté. Idéalement associé, il libère une onde qui peut rendre invincible.
Et je crois savoir à quel élément il faut l’associer.
Moi aussi. C’est notre Lyna qui parle.
Nous nous tournons vers elle.
Au caramel, mais pas n’importe lequel. Il faut un sucre spécial qui vient des Îles. Et qui doit contenir quelques gouttes d’un produit que personne ne connaît. Ou presque…
Mais à ce moment-là, la dragueuse de crevettes frappe à la vitre.
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LXVIII

Mes yeux sont incapables de quitter le décolleté plongeant sur des infinis tièdes. Son ventre frémit de passion ou de frayeur. Le chien est à nouveau agacé par mon attitude. Fais-la entrer au lieu de la dévorer du regard. Je m’incline. Pour mieux déceler chez la belle ce qui suscite mon enthousiasme. J’espère que les autres femmes ne seront pas jalouses. Mais peut-on condamner une telle offrande ?
Qui êtes-vous donc ?
L’une des trois prêtresses. C’est tout de suite plus clair.
Elle s’assied sur le canapé et croise les jambes. J’ai été recrutée, comme les deux autres, par Arusha, Jean-Baptiste et son frère. Son frère ! (21) Oui, le costume rose… il ne possède pas la taille familiale.
Mais c’est lui qui mène la danse. Il a convaincu Arusha et Jean-Baptiste de le suivre dans sa folie, car il en a les moyens. Son rêve était de devenir le Maître de l’Univers, grâce à un fluide né de la synthèse entre le caramel et le parfum, mis au point par Lol. Nous le savons. Vous le savez ? Nous le savons. Je ne savais pas que vous le saviez. Nous ne savions pas que vous ne saviez pas que nous le savions. Un des lévriers lève la tête et exige. Cessez de tergiverser ! J’ai une quinte flush et vous me gâchez mon plaisir.
Bref, nous avons servi de cobayes. Et lorsque nous avons compris quels étaient leur plan et leur machiavélisme, nous avons tenté de fuir. Les De Braxmeister nous ont accueillies. Pour mieux nous manipuler, contre les précédents. Il y a deux clans qui s’affrontent. Mais le sort qui nous est réservé est le même. C’est la mort qui attend les désobéissantes.
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(21) Il ne faut pas hésiter à marquer l’étonnement.
Heureusement, Lyna a pu rester en vie.
La bichonne se méfie. Et comment expliquez-vous qu’elle ne vous ait pas reconnue ? Parce que nous ne nous sommes jamais rencontrées. Pourquoi êtes-vous toutes grandes, sauf un ?
Pour titiller la proportionnalité et varier les reliefs, j’imagine...
 
Qui détient la formule de l’ambroisie ?
Dolorès, mais elle l’ignore : son tatouage.

Elle est désormais prisonnière, reste à découvrir de quel groupe...


LXIX

Les devinettes sont faites pour s’en servir.
LXX

Si nous recherchons deux bandes rivales, une jeune fille enlevée, aux parents adoptifs douteux, un géant furieux et une troupe de militaires carnavalesques, nous supposons que leur terrain de chasse leur ressemble. Et quand on mesure plus de deux mètres, il ne reste qu’une solution. Le Camp du Drap d’or, entre Ardres et Guînes. Quand François 1er rencontra Henri VIII. Et l’on se souvient qu’une démonstration de force peut conduire à l’échec.
Nous partîmes.
Jusqu’au panneau qui indiquait : « sentier du Camp du drap d’or : 3 h ». Comme il n’était que onze heures du matin, nous avons décidé de patienter et d’allumer un barbecue. Andouillettes d’Aire sur la Lys, grillées au genièvre de Houlle. Excellent.
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LXXI

Nous nous sommes postés au lieu-dit clandestinement. Mais personne en vue.









LXXII

Jusqu’au moment où un Écossais décide de passer dans la clairière. Il jette un coup d’œil furtif à droite, à gauche, et s’enfonce dans l’obscurité. Peu à peu, nous apercevons les lumières projetées par des bougies enfoncées dans le sol. Un chemin, une autre trouée.
Puis une tente. Gigantesque. Gardée par deux soldats. Ils discutent. Non, le potager ici ça ne marche pas. Ah pardon, les asperges ! Pour les asperges je ne dis pas, pour le reste… Les tomates aussi ! Pas depuis plusieurs années, trop de pluie. Et ainsi de suite.
Brusquement un grondement sourd ébranle la terre. C’est un défilé. Toutes les Vénus, sous emprise, marchent, chantent et psalmodient. Elles sont dirigées vers l’intérieur du chapiteau. Où De Braxmeister entonne un discours. Qui annonce, avec verve et brio, la prospérité, le bonheur imminent de l’humanité et la fin des calamités !
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LXXIII

Les colères sont façonnées de cristaux et de lamelles, de griffes et de serres, de cris et de rébellion. D’un seul élan, toutes les demoiselles se sont ruées vers le podium où trônaient les De Braxmeister. Elles entourent les préteurs d’une volupté assassine, les assaillent.
Les mercenaires-récolteurs abandonnent la place. Estimant que leurs maigres émoluments, s’amenuisant avec la conjoncture, justifient leur décision de déserter leur mission.
Rapidement, les De Braxmeister sont domptés, et entassés aux côtés d’Arusha et de ses comparses qui s’apprêtaient à les désarçonner, eux, leurs ennemis.
Les furies scandent des slogans guévaristes.
Et toutes applaudissent l’entrée d’une Dolorès libre.
LXXIV

Dolorès a décidé de remettre les deux clans à la justice, au grand bonheur du commissaire. L’an pire descend de sa cime sans saveur ni senteur de civette sous la houlette des midinettes.
Ils étaient sur le point de prélever sauvagement son tatouage précieux. Mais nous (enfin presque) l’avons sauvée in extremis.
Y avait-il un sens aux formes délicatement incisées par le caramel sur les corps meurtris ? Uniquement le plaisir du raffinement. Chaque sculpture méritait d’être admirée, les relier ne servait à rien. Je suis un peu déçu. Mais pas trop.
Car Lyna me regarde intensément et murmure. Notre histoire n’est sûrement pas terminée, Anad, ce qui ne déplaît pas au corniaud, sensible aux œillades et aux exhalaisons de la bichonne.
J’envisage le pire. Ou le meilleur. Allez savoir…
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Fin